Ce que disent les fleurs
Projet d’éducation culturelle et artistique avec une classe allophone de l’école Brossolette au Pré Saint Gervais.
2019
Quand j'étais enfant, ma chère Aurore, j'étais très tourmentée de ne pouvoir saisir ce que les fleurs se disaient entre elles. Mon professeur de botanique m'assurait qu'elles ne disaient rien; soit qu'il fût sourd, soit qu'il ne voulût pas me dire la vérité, il jurait qu'elles ne disaient rien du tout.(...)

Je ne sais pas quelle langue elles parlaient. Ce n'était ni le français, ni le latin qu'on m'apprenait alors; mais il se trouva que je comprenais fort bien. Il me sembla même que je comprenais mieux ce langage que tout ce que j'avais entendu jusqu'alors. Extrait Ce que disent les fleurs de George Sand.

Rencontre avec le texte de George Sand « ce que disent les fleurs », la genèse de la Résidence.

J’ai rencontré « ce que disent les fleurs » en début d’année 2015.
Ce texte va et vient dans un petit coin de ma tête depuis.
Il m’accompagne depuis et ne cesse de se déployer en échos aux évènements intimes et universels.

Le texte raconte la conversation d’une petite fille avec les fleurs.
La nature est personnifiée.
De nature contemplative, depuis petite, j’ai grandit à la campagne en Bretagne entourée de cette nature, j’étais solitaire mais jamais seule.
Depuis petite je dialogue naturellement avec la nature, je me suis construite avec elle, adoptant ce précieux espace de liberté.
A perte de vue le ciel
A perte de vue les champs
A perte de vue les forêts…
Un espace infini.

Ma vie d’adulte s’est faite en ville et j’ai aujourd’hui deux filles qui y sont nées.
Je crois que mes fondations reposent aussi sur mon enfance proche des éléments.
J’y vois la naissance de mon monde imaginaire.
La nature de mon enfance est sauvage, foisonnante.
De celle qu’on écrase, qu’on cueille ou arrache.
Je suis née en pleine nature « sauvage », ma mère me disait « sauvageonne »
Elle fait partie de mon ADN, respiration, synonyme de liberté.
Qu’en est il des enfants des villes ?
Ici la nature est enfermée.
Enfermée dans des parcs, des parterres, des interdits.
Placée là comme un alibi, la nature paraît triste en ville, elle est contrôlée, pas de place au hasard.
Mauvaises herbes arrachées, mauvaises graines !
Elle est « propre et nette » comme un décor, un artifice.
Comment dire à ma fille que grimper aux arbres dans les parcs est interdit alors que j’y passais tout mon temps petite.
Je roulais dans les champs de marguerite, dessinant des chemins dans les fleurs avec mon corps.
Ce sentiment que la nature n’appartient à personne ou à tous.
Ce sentiment d’espace libre je l’ai perdu en ville.
Ici interdit de cueillir des fleurs.
Ici mon regard se cogne aux murs.
Ici la nature est, pour moi, symbole d’interdit, comme un décor, un alibi.
La ville lui dicte ses lois.

J’ai rencontré « ce que disent les fleurs » juste au moment des attentats du début d‘année 2015, ce texte est loin d’être fleur bleue et résonne tristement avec l’actualité.
Face à la douleur, la violence, me sentant impuissante et hébétée, l’Art et la Nature avaient, dans ce deuil, une valeur de refuge et de soulagement.
Sentiment intime, également collectif, du moins pour l’art.
J’ai trouvé un triste écho à la violence actuelle dans le texte de Sand, un long passage raconte comment Zéphyr, fils du roi des orages, régnait avec son père et ses frères sur la planète terre inféconde.
« Notre mission était de détruire et de bouleverser », « nous détruisions des races entières d’êtres vivants … »
Dans le texte la rose devient un symbole : « Apprends leur, aimable rose, que la plus grande et la plus légitime puissance est celle qui charme et réconcilie ».
Le mot de la fin appartient à la grand-mère :
« Je vous plains si vous n’avez jamais entendu ce que disent les roses. Quant à moi, je regrette le temps où je l’entendais. C’est une faculté de l’enfance. Prenez garde de confondre les facultés avec les maladies !
Prolonger « cette faculté de l’enfance » : cette dernière phrase a une forte résonnance intime, préserver mon monde imaginaire, même adulte, lui accorder la place centrale dans ma vie, reflet de mon identité et de mes créations.
La ville porte peut être un sentiment de ma vie d’adulte, de réalité froide, sans échappatoire ?








UN PROJET DE RESIDENCE SUR LE TERRITOIRE DE SEINE SAINT DENIS :
Même si je conçois mon rapport à la nature quelque peu nostalgique, comme empreint d’un paradis perdu, un ailleurs enjolivé, je souhaite prendre une certaine distance par l’interaction et le travail en résidence.
L’enquête, le constat, la recherche, pouvoir examiner au microscope comme en science naturelle.
Aujourd’hui je suis au cœur d’une autre forme de nature, la nature urbaine. Je travaille depuis un peu plus d’un an au Pré Saint Gervais, dans la cité jardin, j’occupe mon premier atelier « officiel ». La cité jardin fête ses 90 ans d’existence.
Là encore la nature est envisagée sous une autre forme puisque c’est un concept d’urbaniste de penser la ville comme un parfait exemple de la symbiose entre la ville et la nature. Au même moment naissaient les jardins ouvriers, nombreux en Seine Saint Denis. Ces jardins partagés, une chance de pouvoir prétendre à son petit bout de nature même pour les plus démunis.
Depuis plusieurs années je me suis engagée en seine Saint Denis auprès de plusieurs structures pour favoriser l’accès à la culture, dans le souci de la valorisation des personnes, des enfants en particulier, n’ayant pas naturellement accès à l’art en mots ou en images.
Ce formidable moyen d’expression, qui fait de l’art mon identité, je souhaite le faire partager.
Dans ce territoire j’ai rencontré de nombreux enfants « objets » qui ne méritaient pas l’attention des adultes.
Ces rencontres vibrantes redonnent un vrai sens à mon travail sur le terrain
C’est donner et recevoir puisque c’est également une source d’inspiration.
Là où la ville (me) pousse à l’individualité, conserver précieusement son humanité.












On le sait, la fleur a une capacité inépuisable à signifier: symbole de vanité, de révolution, de beauté, de mystère… elle est présente dans de nombreux rituels célébrant la vie ou la mort. On peut aborder la nature sous l’angle mythologique, poétique, politique, social, philosophique ou conceptuel…
Des études sur la nature ont révélé le pouvoir des fleurs sur les émotions.
Rousseau et Kant partagent la théorie de l’expérience du sublime lié au spectacle de la nature.
« Je suis ce que je vois » dit Alexandre Hollan dont l’arbre est le « motif » fétiche et unique. Peut on parler d’identification avec son environnement ?
Fleur et nature ne sont elles pas davantage synonyme d’une forme d’insouciance, souvent liée à une forme de légèreté de l’enfance ? Elles sont souvent associées au genre féminin, au décoratif, au romantisme mièvre, comme suggère l’expression « inaugurer les chrysanthèmes » ou « être fleur bleue ».
On parle des fleurs comme on parle du beau temps.
Petite, les fleurs faisaient partie de mon petit monde merveilleux, ces petits êtres vivants, colorés, parfumés.
Les fleurs peuplaient mon monde, de celles qu’on trouvent dans les champs, les fleurs sauvées de la poubelle du cimetière, jusque celles dessinées sur le papier peint de ma chambre de petite fille. Des kilomètres de vie en rose comme dans la chanson d’Alain Bashung.
Même si elles n’ont plus ce pouvoir aujourd’hui de me détourner de la réalité parfois si cruelle, c’est avec plaisir et vive impatience que je me plonge dans l’univers de ce livre et de la Résidence et consens à être happée, séduite, émerveillée, une parenthèse enchantée…
C’est dans ma nature !

Gwen Le Gac